Les larmes de l'assassin,
Anne-Laure Bondoux,
éd. Bayard Jeunesse, dès 12 ans.
Pour les trente ans des éditions Bayard, ressort ce grand classique de la littérature jeunesse (paru en 2003). L'occasion pour nous de vous faire découvrir ou redécouvrir ce roman poignant qui invite au débat et qui avait reçu à l'époque une vingtaine de prix jeunesse dont le fameux prix Sorcières en 2004.
Après avoir été traduit dans une quinzaine de langues et adapté en bande dessinée, ce roman culte est aujourd'hui réédité avec une préface de l'autrice, Anne-Laure Baudoux, qui fut, après ses études de lettres, rédactrice de cette même maison d'édition, avant de se consacrer, à partir de l'année 2000, uniquement à l'écriture de romans pour adolescents et adultes.
L'action se passe en Patagonie, dans le sud du Chili, au bout du bout du monde, sur cette terre aride, fouettée par les rafales de vents, où tout pousse difficilement, les plantes comme les enfants. Dans la dernière bâtisse avant le désert et l'océan, vivent les Poloverdo, le père, la mère et Paolo: une petite branche aux oreilles décollées qui court après les serpents. Là-bas, les visites sont aussi rares que la douceur de vivre. Or, un jour, un colosse, un homme qui lui aussi a mal poussé, arrive à la petite maison grise. C'est Angel Allegria, l'assassin. En trois phrases, l'autrice fait basculer la vie de l'enfant. Désormais, ils ne sont plus que deux et, à cet homme qui n'a connu et ne comprend que la violence, Paolo obéit, Paolo se soumet pour survivre. Le meurtrier, comme malgré lui, malgré ces nouvelles sensations qui le fragilisent, s'attache à l'enfant et Paolo s'accroche au colosse comme à la plus improbable des bouées.
Et puis, un jour, le duo devient trio avec l'arrivée de Luis, un riche intellectuel en rupture familiale, un peu cassé lui aussi. Il échappera au couteau d'Angel grâce à un seul mot de Paolo, un mot que l'assassin ne pensait jamais entendre et qui sort de la bouche de l'enfant. Le trio va cohabiter dans la ferme du bout du monde, dans cette région asséchée et rude où "même les pierres semblaient souffrir".
La peur que Luis séduise l'enfant par son savoir, par la poésie, par les mots qu'il est capable de lui apprendre à lire et à écrire, cette peur qui étreint Angel de perdre l'enfant, le confronte à une réalité effarante: son cœur, qui n'en a jamais reçu, est capable d'amour!
Les larmes de l'assassin est un roman bouleversant et confrontant car le lecteur ne peut s'empêcher de s'attacher au truand au fil des pages et se pose mille questions: un homme qui tue de sang-froid peut-il vraiment être capable d'amour véritable? Et s'il peut changer, est-ce que son attitude répare les horreurs commises? Certains actes ou personnes sont-ils définitivement condamnables? Le lecteur s'interroge sur les notions de justice et d'injustices, compare la conduite des deux hommes qui gravitent autour de Paolo et se demande quelle est la pire. Celle d'Angel prêt à se sacrifier pour que l'enfant ait un avenir ou celle de Luis qui le maintient dans son ignorance par intérêt et le trahit? Celle d'un assassin qui pleure ou d'un gentilhomme qui ment...
Au fil des pages:
"Et soudain, alors qu'il tendait la main dans l'obscurité pour ne pas se cogner encore, il sentit une autre main se glisser dans sa paume.
-Angel, c'est toi? dit Paolo d'une voix grelottante.
- Je suis là.
- Oui.
La petite main de Paolo était glacée et frêle. Il avait dû s'endormir là, loin de la maison, et se laisser surprendre par la nuit.
Angel attrapa l'anneau de la lampe avec ses dents et, presque sans effort, il souleva l'enfant. Il ouvrit sa veste, enveloppa le petit dedans, contre sa propre peau, là où il fait le plus chaud, puis, la lampe brinquebalant entre ses dents, il rebroussa chemin. La douleur était partie. Il ne ressentait plus qu'un immense soulagement, et la fierté d'avoir retrouvé l'enfant vivant. Cela rayonnait en lui, si bien qu'il songea à remettre l'assassinat de l'étranger à plus tard pour ne pas gâcher ce moment extraordinairement serein, ce moment où, seul sur cette terre de misère, il marchait, un corps lové contre le sien, avec la certitude d'accomplir quelque chose d'important dans l'univers."
Adaptation en bande dessinée avec Thierry Murat (2011):
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