Strada Zambila

Strada Zambila, Fanny Chartres, 
éd. L'école des loisirs, coll. Neuf, dès 10 ans.


Premier roman de Fanny Chartres, la sœur de Marie Chartres dont les romans Comme un feu furieux et Les petits orages avaient été de grands coups de cœur. En lisant Strada Zambila, je me suis dit "Ok... on est tombé sur un nid de talents!", car Fanny nous offre un magnifique roman qui finalement nous parle d'amours. D'amours au pluriel, de tous les types d'amours.
D'abord, il y a l'amour parental qui pousse les parents d'Ilinca et Zoé à leur cacher la véritable raison de leur départ de Roumanie pour la France. Pour les protéger, pour qu'elles aient une enfance sereine, quitte à s'attirer les ires de leur fille aînée.
Puis, l'amour filial, celui des deux sœurs pour leurs parents dont  le départ et le manque est devenu insupportable, qui préfèrent vivre dans un deux pièces et la pauvreté que sans eux. 
L'amour fraternel, ensuite, entre les deux sœur, si différentes et pourtant si indispensables l'une à l'autre. Illinca, l'aînée, calme et réfléchie qui intériorise sa colère jusqu'à ce qu'elle éclate avec la violence dévastatrice d'un ouragan et Zoé, la cadette, toujours joyeuse, positive, pleine d'énergie, un moulin à paroles, un soleil incarné, une petite fille "qui voit dans chaque matin une promesse de bonheur".
Ensuite, il y a l'amour des grands parents qui se sont installés rue Zambila avec leurs huit chats et qui veillent tendrement sur leurs petites filles et leur blessure d'abandon. Bunicu, chauffeur de taxi, mots croisés, blagues au bout de la langue et regard grave, interprète de sa femme, Bunica, emmurée dans son silence, les doigts toujours sur son tricot mais qui cache des petits mots pleins de sagesse dans les affaire d'Ilinca.
Il y a aussi l'amour d'Ilinca pour sa ville, Bucarest, à qui elle adresse des poèmes secrets et intimes. Et puis, lorsque le professeur de roumain propose aux enfants de participer à un concours d'arts plastiques, Ilinca fait équipe avec un élève de sa classe, Florin. Il écrira des poèmes sur les différents quartiers de la ville et elle prendra les photos. Ilinca découvre que le jeune garçon est rom, ce qui en Roumanie est un handicap. Ilinca découvre avec Florin une culture qui dément les clichés, elle se rend compte de la haine et des préjugés que la peau basanée de son ami déclenche. Pourtant, Florin est intelligent, sensible, prévenant, ouvert, compréhensif et ce qu'Ilinca découvre surtout avec lui c'est une amitié qui se mue timidement en premier amour.
Pour finir, il y a l'amour de l'art, subtile, avec la poésie (point d'ancrage commun aux sœurs Chartres) comme évasion, respiration, échappatoire, trait d'union. Et la photographie, enfin, témoin du manque, de la beauté, de la destruction et des preuves d'amour... 
Et la boucle est bouclée.

"Krol, le fou qui ne savait plus voler"

Krol, le fou qui ne savait plus voler
Sigrid Baffert & Aurore Callias, 
éd. L'école des loisirs, coll. Mouche, dès 7 ans.


Krol plonge en fusée, à la verticale des flots, pour attraper un hareng et là, pouf! son aile lâche! Elle fait blop!, devient toute molle comme du camembert. Plus moyen de voler, à peine de nager jusqu'à la rive et de se traîner sur le sol. L'horreur totale pour un fou! Krol rencontre alors Oona, une petite fille à bottes jaunes et ciré bleu, Grand'pa, peintre myope qui roule en side-car et puis Grammy et ses aiguilles d’acupuncture. Krol est recueilli et ausculté par la drôle de petite famille. Son aile va bien biologiquement pourtant Krol ne sait plus la bouger. Et si c'était psychosomatique? Psycho...quoi? Et si cela avait à voir avec son ami partit à Edimbourg (cf Krol le fou) et le manque terrible qu'il ressent?

"- C'est comme si... le ciel avait rétréci et m'écrasait les ailes."

Mais Oona, son grand père et sa grand mère sont là et lui concoctent un joli programme pour le retaper: repos, art-thérapie, marche à pieds (ou à pattes palmées plus exactement), leçon de courage, méditation face à l'océan, confidence et ... amitié.



Une écriture vive, des dialogues pleins d'humour, des personnages drôles, attachants, émouvants et un sujet trop peu abordé: les blessures de l'âme qui empêchent d'avancer et le corps qui, par ses blocages, ses maladies, nous invite à nous poser, à nous interroger et à comprendre ce qu'on a du "mal à dire". 
"Krol s'est interrompu, aussi surpris que soulagé.
- C'est fou ça... Je n'y avais jamais pensé. Ça fait du bien de parler."