"La soupe aux frites

La soupe aux frites
Jean Leroy & Ella Charbon, 
éd. L'école des loisirs, coll. Loulou & Cie, dès 2 ans. 


Parfois, tout réside dans le "comment la chose est présentée" et une maman est capable d'une grande ingéniosité avec une once de filouterie mais... les enfants sont pleins de ressources et telle est prise qui croyait prendre!


"Dessine-moi un petit prince"

Dessine-moi un petit prince,
 Michel Van Zeveren, éd. Pastel, dès 3 ans.


Quel est le seul animal capable de prononcer cette phrase? Ben oui, un mouton, bien sûr! Ou plutôt un petit mouton qui se croit très nul en dessin et qui voudrait malgré tout épater ses copains. Alors, "maman, dessine-moi un petit prince". Et oui, mais madame Brebis n'est pas vraiment plus douée..., alors elle contourne et se la joue Le cercle des poètes disparus en traçant un caillou sur le papier et en invitant son fils à voir ce que les autres ne regardent pas généralement.


"Wouaw!, trop forte ta maman!", les copains son scotchés. Dessiner les petites choses auxquelles on ne prête pas attention, quelle idée novatrice! Mais cela n'arrange pas les affaires de petit mouton qui ne sait pas plus dessiner une toile d'araignée qu'un petit prince. Il est foutu, nul de nul! À moins qu'il  y ait une source d'inspiration encore plus extraordinaire pour les agneaux qui ne sont pas faits pour suivre le troupeaux!

"Les mûres"

Les mûres
Stéphane Poulain & Olivier de Solminihac, 
éd. Sarbacane, dès 4 ans.


Michao est un gros ours tout doux, Marguerite une chèvre délicate et le petit garçon un renardeau. Une famille adoptante? Cela importe peu, la magie de cette dernière journée de vacances, c'est l'amour qui unit ces trois-là. La douceur de petits moments de rien, de petits moments riches car partagés, de derniers instants volés au temps. La maison d'été que l'on quitte, les bagages qui ne rentrent plus dans le coffre, l'ultime fugue dans la prairie aux ronces, pour cueillir des mûres, les épaules de Michao, les hautes herbes, l'escargot trouvé avec Marguerite... Le retour à la voiture le jour déclinant, la saveur des mûres qui restera celle des vacances, de ses randonnées, des ses odeurs, la saveur de souvenirs piqués d'une légère et douce nostalgie. Une journée toute simple de l'enfance comme un petit caillou brillant, un trésor dont on se souviendra un jour et qui réchauffera. 
On retrouve les trois personnage du Bateau de fortune qui racontait le début de l'été. Même douceur, même délicatesse, même tendresse...


"Louis parmi les spectres"

Louis parmi les spectres,
Fanny Britt & Isabelle Arsenault, 
éd. de La Pastèque, dès 10 ans. 


Le premier mot qui me vient en pensant à Louis parmi les spectres est "Délicatesse". "Suggestion" aussi. Dans le texte comme dans le trait. 
Les spectres de Louis sont ses blessures, les blessures d'une petite vie parmi d'autres. Presque banales. Des parents séparés, un père alcoolique auquel la nostalgie des jours heureux fait remonter des larmes dans lesquelles il se noie. La maison familiale à la campagne, désormais monoparentale, vidée de ses rires et de ses odeurs de gâteaux, l'appartement de maman en ville avec vue imprenable sur l'autoroute, le bus entre les deux. Les nuages qui pleurent comme le père, Truffe, le petit frère, ses questions, sa naïveté et pour qui tout cela n'est qu'un jeu. Pas encore abîmé. 


Boris, le meilleur pote qui pousse Louis à être courageux et à parler à Billie. Billie, c'est la lumière, le soleil, une sirène à lunettes qui intimide parce qu’elle est forte, qu'elle lit un livre par semaine et qu'il faut en être digne. Billie, c'est l'amour, celui qui explose le cœur et d'après ce que Louis en sait, l'amour, ça finit pas très bien. 
Par petites touches, avec un langage poétique qui est souvent celui de l'enfance, Fanny Britt nous livrent tout ce que les enfants perçoivent malgré tout, ce qu'ils comprennent malgré nous, ce qu'ils espionnent, veulent protéger, les faiblesses des adultes qui leur fait honte et abîment leur confiance en la vie, les éclats de voix durant la nuit. "J'ai fermé les yeux très fort pour me boucher les oreilles", nous dit Louis: une petite âme qui s'effrite... Les dessins d'Isabelle Arsenault font corps avec les voix, en demi teinte, poésie et délicatesse. Le noir et le marron dominent. Crayons, pastels, écoline. Quelques touches de turquoise, comme la pluie des larmes, la tristesse, le monde intérieur. Sauf quand on parle d'espoir et d'amour, comme avec Billie et son apparition couleur jaune citron.


Tout comme dans Jane, le renard et moi, on assiste à une enfance meurtrie. Les perspectives de résilience résident soit dans la littérature et la nature, soit dans l'amour et la nature. Dans les deux histoires, l'espoir de rédemption, l'ouverture, l'idée que le bonheur est peut-être possible est incarné par un animal sauvage: le contact fugace avec un renard dans la première, le lien privilégié et passagé avec un raton-laveur blessé et confiant dans la seconde. Confiant comme l'est Louis face à la tentative d'abstinence de son père et à ses parents de nouveau amoureux, confiant comme la couleur pêche qui vient teinter les quatre jours de vacances à New York...


Face à la fragilité des adultes, les fêlures, les faiblesses, la peur, les mensonges bienveillants, ce qui fait que les parents sont aussi des êtres humains qui essaient, comme ils le peuvent, de mener la barque de leur vie, Louis grandit. Et c'est avec courage, comme son père entré en cure de désintoxication ou comme sa mère qui ose, malgré ses craintes, laisser son fils s'émanciper peu à peu, que Louis, trouve enfin la force d'ouvrir son cœur même s'il sait, plus que quiconque, que le cœur est un muscle fragile.

Ps: les éditions de la Pastèque sont des éditions canadiennes, donc il y a quelques petites adaptations de langage à faire. Dans Louis parmi les spectres, on ne dit pas cailloux, on dit roches, les imbéciles sont des niaiseux, les pièces ne se perdent pas dans les plis mais dans les craques du divan, on se coupe le toupet et non la frange,  Truffe flatte l'abeille au lieu de la caresser et il est correct veut dire qu'il va bien.
Exemple p115, où la mère de Louis apparaît un matin "le visage étampé d'un sourire niaiseux".