"Les petits orages"

Les petits orages, Marie Chartres, 
éd. L'école des loisirs, coll. Médium, dès 15 ans.


Marie Chartres, c'est un poème. Un poème en images avec son amour pour la photographie qui se fait le terreau pictural de ses romans. Un poème en mots avec une écriture belle, sensible et imagée. Un poème en histoires dans lesquelles la poésie en tant que forme littéraire ainsi que celle du cœur deviennent sources de résilience.

Marie Chartres est une chasseuse d'images sur papier glacé. Elle découvre, rassemble et partage avec nous ce qui l'émeut. Elle se fait exploratrice de vestiges, d'incertitudes, d'atmosphères, de solitude, d'associations incongrues et de couleurs, comme dans le travail de la photographe Evguenia Abrugaeva sur la ville de Triksi qui deviendra la source de son roman Comme un feu furieux ou celui d'Aaron Huey sur la réserve indienne de Pine Ridge qui sera le déclencheur et la toile de fond des Petits orages

Marie Chartres, ce sont aussi des mots choisis avec soin qui, comme les perles de verre de Ratso, sont roulés mille fois les uns contre les autres jusqu'à trouver naturellement leur place dans des colliers de phrases improbables, parfaites et poétiques. Sous sa plume, des mots anodins se font drames, des mots qui piquent se font caresse.
"Lorsque nous marchions côte à côte, je ressemblais à un point d'exclamation accidenté, et lui, à une petite virgule toute légère, qui serait passée par là, presque en s'évanouissant. Cela donnait une drôle de ponctuation."

Enfin, Marie Chartres, ce sont des personnages cabossés par la vie: une tige brisée, un père de silence, une mère de douleur et un ours mal léché dont la sœur est une étoile. D'abord, il y a Moses qui a vu sa vie chavirer, il y a un an, dans un accident de voiture et qui depuis ressemble à "un vieillard de 16 ans" avec son corps rapiécé, ses béquilles et sa jambe en "écorce de cacahuète" fragile, incontrôlable et douloureuse. Tout comme sa colère inexprimée qui s'échappe comme elle peut sous forme de petits volcans cutanés sur son visage, véritables remparts qui empêcheraient les autres de l'atteindre. Moses n'arrive plus à communiquer,  à toucher les autres ni à être touché. Moses tente l'effacement de soi, 
" - Et combien de fois devrais-je vous le préciser! Laissez vos camarades empêchés passer en premier, ce sera plus facile pour eux, a continuer Mme Purcell d'une voix stridente.
  J'ai baissé les yeux piteusement, elle parlait de moi, j'ai eu honte. J'ai eu honte de moi et j'ai eu honte pour elle. L'utilisation de ce mot. L'utilisation de ce pluriel. Ma tentative d'évanouissement échouait."
Et puis, il y a le père, enfermé dans un silence hostile et devenu incapable de regarder son fils depuis qu'il est infirme, et la mère qui surjoue la gaieté et l'optimisme. Enfin, il y Ratso. Ratso est un géant, un indien lakota d'un mètre nonante qui débarque un beau matin dans la classe de Moses. Lui aussi est emmuré dans une cage taciturne, lui aussi a ses secrets, de la colère sous pression et des petits orages pleins les artères. C'est pourtant de la rencontre de ces deux douleurs-là, d'une désolation et d'une désespérance, d'un bocal rempli de perles de verre et d'un petit cercueil, que va naître la résilience. Ces deux-là vont aller jusqu'à la réserve de Pine Ridge pour l'anniversaire de la sœur de Ratso à bord d'une épave crachotante et cahoteuse. Et ce road trip vitesse tortue devient le symbole de leur obstination, de leur lutte et de leur désir d'avancer malgré tout. Entre eux, c'est une alchimie où la vie va pouvoir reprendre racine et laisser renaître l'espoir, la parole et la joie.