"Comme un feu furieux"

Comme un feu furieux, Marie Chartres, 
éd. L'école des loisirs, dès 15 ans.


Comme un feu furieux c'est avant tout une atmosphère et un langage. Un langage où la poésie est reine pour l'auteur, où la poésie est refuge pour les personnages.
Le lecteur s'engouffre au sein d'une famille dysfonctionnelle, dans l'obscurité physique d'un pays où le soleil ne se lève plus et dans l'obscurité psychique d'un deuil impossible à faire.
Nous sommes à Tiksi, au bord de l'Arctique, une ville elle-même en deuil d'une activité portuaire autrefois florissante, une ville qui se vide, une ville qui se meure, une ville prisonnière des glaces et qui décompte les jours la séparant du retour du Yamal, le majestueux et gigantesque navire brise-glace. On a l'impression d'une ville en ruine perdue dans ces boules de neige en verre que l'on secouait, enfant, pour y voir tourbillonner les flocons.

C'est là que vivent les Bolotine, englués dans un secret de famille et entassés dans un appartement boîte d'allumettes. Il y a le père qui fuit et plonge à cœur perdu dans un travail de jour et de nuit. Gavriil, l’aîné, emmuré dans sa chambre et le silence, depuis un an, depuis le drame et qui survit grâce à son nid de feuilles noircies de poèmes. Il y a Lazar, le plus jeune, ses questions infinies, ses nuits pelotonné contre sa sœur, sa soif et sa joie de vivre malgré tout. La narratrice, Galya, la fille aux poèmes plein la tête, qui s'acharne à croire en ses rêves d'océanographe et à garder espoir malgré la nuit, malgré cette colère sourde, les "comment" et les "pourquoi", malgré le poids de cette famille qui repose sur ses épaules et les souvenirs des jours heureux. Et puis, il y a Josiah, le berger allemand, qui semble être le fil de chaleur qui maintient, maladroitement mais solidement, les membres fragiles de cette famille ensemble. Enfin, il y a les rencontres: Arkadiy, le vieil homme aux mains rouges, détenteur de la mémoire des lieux et des gens, qui parle par énigmes mais ouvre les portes. Evguenia, la jeune photographe qui incarne tous les possibles et va être l'index et le pouce tirant sur le bon fil pour dénouer cette pelote de tristesse et de culpabilité, et Anatoline, le capitaine du Yamal, l'étincelle qui va permettre à la vérité d'exploser.

Comme je l'ai dit, la poésie est omniprésente et parfois, les envolées de style, les métaphores déservent les descriptions. Je n'ai pas vraiment ressenti le froid et la nuit comme j'ai pu les vivre dans 40 jours de nuit ou dans La forteresse des lapins, par exemple. Mais cela n'a pas vraiment d'importance car les paysages qui comptent dans ce roman sont les paysages intérieurs et certains passages m'ont bouleversé par leur beauté et leur justesse comme celui sur le premier rire après une tragédie. Et si les véritables héros de ce roman étaient les émotions et les mondes intérieurs?

Extrait: "Et il est entré dans sa chambre en me laissant cette grenade dégoupillée entre les mains.(...) 
Je n'ai pas réussi à savoir si j'étais emplie de fureur ou de vide. J'ai entendu le bruit de la porte lorsqu'elle a claqué.
Et puis rien.
Je crois que je suis tombée.
Je suis resté debout mais je suis tombée à l'intérieur de moi. En mille morceaux."